Voyage 2002  Compte rendu Général

Ce que nous retirons de ce voyage :

  1. La trouille au ventre face à la situation qui ne cesse de se détériorer et la rage de construire  
  2. La convergence d’analyse de tous nos partenaires sur la situation et les mesures à prendre pour faire face aux répercussions sur la Palestine, d’une guerre contre l’Iraq qui va redoubler d’intensité.
  3. La conscience politique qu’en a  la population palestinienne
  4. Pour les plus conscients, une lutte qui s’inscrit dans le refus de la mondialisation libérale imposée par le tandem U.S.A.- Israël
  5. Face à ce constat (1), cette analyse (2) et son évaluation (3 & 4) :  une stratégie qui se met en place 

 

Comptes rendus des travaux et échanges avec nos divers partenaires

Travailleuses de la santé de Gaza. Comités d'entraide agricole. El Qarara village jumelé avec St Pierre d'aurillac Les pacifistes palestiniens

  Jacques avec des enfants Gazaouis

1       Impressions à chaud

Nous étions 6 du Comité Palestine 33,  en Palestine  fin octobre, début novembre, 3 à la protection des Palestiniens pendant la cueillette des olives – Marie Thérèse André et Frédérique  - et 3 autres dans la bande de Gaza pour reconsidérer nos objectifs avec nos partenaires –Fatima, Nathalie et Jacques-

Que dire ?…

Cette femme, la soixantaine passée, qui marche dans le sable, les pieds nus, en levant les bras comme pour implorer le ciel de porter secours à sa détresse, et s’en prenant à nous : « Mais qu’est ce que vous faites en dehors de vos visites ? » Un tank est à 100 mètres.

Cette autre femme, réfugiée de 1948, dont la maison a été passée au bulldozer parce qu’elle était construite à l’intérieur du périmètre de sécurité fixé à 300 mètres de chaque côté de la route des colons. Elle s’est rebâtie une cabane faite de branchages et de plastique, là où sa maison avait été démolie. Sa sœur l’invite à venir passer une soirée chez elle et à y passer la nuit. Quand elle revient le lendemain sa cabane avait été repassée au bulldozer. « Ils m’écraseront sur place mais je ne bougerai pas » s’était-elle exclamé lors de la rencontre que nous avons eue à Al Qarara avec celles et ceux dont les maisons ont été démolies.

Ces jeunes dont les seuls sujets qui leur viennent à l’esprit lorsqu’ils sont devant une feuille blanche et de la couleur, sont des scènes de guerre et de sang, d’ambulances d’avions et d’hélicoptères où le noir et le rouge dominent.

Ces oliveraies surveillées dont les colons et l’armée empêchent l’accès mais qui sont investies par une population accompagnée d’internationaux qui les aident à maîtriser leur peur.

Ces gens qui, malgré le couvre feu, bravent l’occupant en sortant quand même.

Ces maisons qui se reconstruisent sur les gravas des précédentes.

Cette présence non violente d’un nombre croissant de Palestiniens et d’internationaux aux points chauds : les barrages, les postes de contrôle, les zones sous autorité palestinienne qui sont réoccupées, les colonies illégales. Cette force toujours renouvelée poursuit sa confrontation avec les forces aveugles de l’occupant.

Le maire de Hébron nous a dit que les quelque 350 colons installés dans la vieille ville sont protégés par 2.500 militaires … et ça ne suffit pas.

« Nous sommes en train de faire payer à l’Israël le prix –en terme économique- de son occupation et ça va lui coûter très cher car son budget militaire ne cesse de ponctionner  ses budgets sociaux . Plus d’ une famille israélienne sur 3 est sous le seuil de pauvreté fixé à 330 € par mois comme dans nos pays dits « développés ». 

Que dire ?

A la fois la pauvreté, la souffrance, la trouille au ventre, le sentiment de profonde frustration, la résignation à ne pas trouver d’échos de ce que vit le Peuple palestinien  auprès de la communauté internationale, l’appréhension d’une nouvelle guerre contre l’Iraq qui ne manquerait pas d’avoir des effets dévastateurs sur ce qui reste de la Palestine occupée….

Et de l’autre côté la volonté de vivre libre, le fait d’être encore « debout » après plus de 50 ans d’oppression, la rage de reconstruire, l’élan indomptable qui pousse à lutter contre l’injustice, le respect de soi-même qui vous soulève lorsqu’on vous humilie.

 Le Quartet Sharon- Ai’Alon- Mofaz -Netanyahou qui certes effraie mais que l’on sait par avance battu face à la détermination d’un Peuple se préparant à toutes les éventualités pour vivre dans la dignité….

 Tel est ce double sentiment, dont les composantes sont intimement liées, qui nous anime à notre retour. Puisse-t-il être le ferment qui renouvelle notre détermination à demeurer aux côtés de nos amis Palestiniens dans leur lutte pour leur souveraineté territoriale et leur indépendance nationale.

2       Convergence d’analyse de la part de nos partenaires.

Depuis 12 ans, chaque année, nous rendons  visite à nos partenaires de la bande de Gaza .

Chaque année nous constatons une détérioration de la situation surtout depuis la signature des accords d’Oslo en Septembre 93. Mais cette année fait apparaître qu’il s’agit d’un changement de nature : Nous étions en gros depuis 10 ans dans une optique de  solidarité concertée avec nos partenaires (plantations d’arbres, récupération d’eau pluviale, centre des femmes ….) Nous sommes depuis quelques mois (avec la 2ème intifada) dans une optique de « préparation au pire » (bantoustanisation – occupation- déportation en Jordanie)

 Dans la bande de Gaza où nous sommes restés 7 jours,

Nous avons fait le tour de Al Qarara, isolé au nord par la route des colons, à l’est par la frontière avec l’Israël, à l’ouest par la colonie de Gush Qatif. Seule la limite sud du village reste perméable et donne accès aux villages de Banis Suhaila et de Abassan

  1. Banthoustanisation de la bande de Gaza par une « zone tampon » de 51 km sur 1 km de la large le long de la frontière avec l’Israël, une zone militaire de 1 km de large et de 11 km sur la frontière avec l’Égypte et une interdiction de sortir en mer à plus de 10m de la côte
  2. La ré occupation de la bande de Gaza en forçant les populations à se regrouper autour des 3 centres de Gaza, Khan Younis et Rafah afin d’en faire 3 bantoustans plus facilement contrôlables
  3. La déportation vers la Jordanie en commençant par les élites, les responsables de la société civile, les  militants politiques
Nous avons rencontré nos amis du P.A.R.C.        avec lesquels nous avons vu sur le terrain des hectares de terre cultivable réduits à des terrains vagues jonchés d’arbres déracinés nous avons refait le point sur nos objectifs en cours au vu de leurs nouvelles priorités.   Après Aylaboun et Al Amari la collecte de l’eau sur les toitures des établissements scolaires de Ibn Nafis et de Hamad Agha sera assurée par Palestine 33 qui essayera de trouver d’autres comités pour l’installation de citernes dans Beduin Village
Nous avons rencontré des agriculteurs de la région de Beit Hanoun syndiqués dans la fédération des syndicats agricoles palestiniens. Avec eux nous avons tenu une réunion où ils ont exposé leurs difficultés ( impossibilité d’exporter, manque d’eau, terres cultivables se réduisant de jour en jour)
Nous avons rencontré des femmes du  « Centre de la femme rurale » de Al Qarara. Elles sont en train d’amasser des rations alimentaires pour faire face aux urgences et aux imprévus. Déjà 250.000 familles dans les camps de réfugiés  sont nourries par l’U.N.R.W.A.
Nous avons rencontré les amis de « L’association pour le développement humain » de Al Qarara qui essaye de faire face aux multiples problèmes quotidiens auxquels se confronte une municipalité qui ne peut même plus percevoir de taxes  des habitants tellement le chômage est grand (80 %) : prise en charge des familles dont les maisons passent sous les bulldozers : 47 depuis 1 an et demi. Prise en charge des enfants traumatisés par le bruit permanent des tirs et des chenilles de tanks et de bulldozers.
Nous avons vu la toute nouvelle université Al Qds décentralisée sur Al Qarara avec ses 1.800 étudiants (ils ne pouvaient plus aller à Gaza ou à Khan Younis) et parlé avec deux étudiantes, heureuses et fières de pouvoir poursuivre leurs études malgré tout.
Nous avons vu une usine à parpaings  au cœur de Al Qarara, en pleine production plur faire face aux démolitions de l’occupant et reconstruire aussitôt
Nous nous sommes entretenus avec des responsables politiques du secteur Centre de la bande de Gaza  (Khan Younis – Deir Al Balah) nous faisant part de leur stratégie unitaire face à réoccupation probable
Nous avons rencontré les responsables de « l’union des femmes travailleuses palestiniennes » à Gaza et les problèmes quasi insurmontables qu’elles rencontrent au contact des familles
Nous avons rencontré Radji SOURANI et Haïdar Abdul SHAFFI qui nous ont brossé un tableau peu reluisant des institutions de l’Autorité Nationale palestinienne, leur distance prise à l’égard du Politique,  leur investissement dans la conscientisation de la population
Nous avons rencontré le Médical relief avec lequel nous sommes en lien depuis 1991, avons visité les travailleuses de la santé sur leur lieu de travail (Jabalyia, Beit Hanoun, bedouin village) La formation continue porte en particulier sur l’aptitude de ces femmes à transmettre au plus grand nombre les consignes de premiers soins en cas d’urgence.
Nous avons passé une soirée dans un appartement loué par 5 jeunes italiens en mission de protection sur Al Qarara jusqu’à la fin de l’année (coucher dans les maisons susceptibles d’être détruites, accompagnement des enfants à l’école, des équipes médicales et des ambulances bloquées aux barrages, 
Nous avons participé à un atelier de travail de 08h30 à 11h30 avec la plupart de ces partenaires pour concertation . 3 scénarios sont étudiés auxquels des réponses appropriées sont en voie de solution.

            Face à ces « possibles » des stratégies prennent corps. Un programme de « communities based organisation » se met en place dans le cadre d’un « relief and  emmergency plan » Eparpillement maximum des populations par petits regroupements

           – téléphones cellulaires – réserves de produits de 1ère nécessité…

C’est dans ce contexte qu’il nous est demandé de nous insérer si nous entendons poursuivre la route à leurs côtés (permanences sur place)  De leur point de vue notre travail est principalement ici en France. Créer le rapport des forces qui s’imposera aux lobbies tout puissants des médias, des finances ….  Par la mobilisation de rue, l’information à grand tirage….  Ne pas compter sur les politiques, mais faire en sorte que ce soit eux qui viennent à nous : inverser là aussi le rapport de dominants dominés.  La société civile prouve ces derniers temps qu’elle pèse sur les décisions des politiques (300.000 manifestants à Londres ….)

En Cisjordanie, où nous sommes restés 3 jours, nous avons partagé un peu des tracasseries quotidiennes faites aux Palestiniens. Changement de taxis avec marche dans les gravas en zones non autorisées à la circulation, attente au poste de contrôle, vérification d’identité…. nous avons rencontré :

A Beit Sahour  Ghassan ANDONI du «  Centre palestinien pour le rapprochement entre des Peuples » organisation en activité depuis 88 basée sur la non violence se proposant l’initiation du plus grand nombre à cette discipline de résistance active. Implantée dans 40 pays elle reçoit des « internationaux » déjà formés pour accompagner les palestiniens dans leurs activités quotidiennes …. « Cette période de la cueillette des olives est la plus propice  à la sensibilisation des gens à la non violence. Accompagnés dans leurs oliveraies par des équipes de protection, ils apprennent à vaincre leurs peurs et leurs appréhensions … »
A Ramallah, Claude et Youssef ABU SAMRA. Avons été sur les lieux de la Moqa’ta entièrement détruite et déjà en cours de reconstruction. 2 ailes de bâtiments sont à nouveau en service.
A Hébron où le couvre feu quasi permanent et dont l’accès est particulièrement difficile :  Les passes empruntées par les taxis collectifs changent au fur et à mesure que l’occupant se rend compte de la faille et vient la défoncer. Le maire nous a fait part de ses difficultés. Entre autres : « … les camions poubelles de la ville de Hébron ont tous un laisser-passer délivré par l’administration israélienne pour aller vider à la décharge située en dehors des limites de la ville.  Quand les chauffeurs se présentent aux barrages ils sont refoulés par les militaires qui n’ont d’ordres à recevoir de personne…. »
A Jérusalem au Centre d’informations alternatives de Michel WARSHAWSKI … Où la souffrance est grande de constater un  écroulement de la « Gauche » et le peu de citoyens engagés dans les mouvements reconnaissant légitimes les revendications palestiniennes ….

3       Comment le Peuple vit-il cette préparation au pire ?

 A Gaza nous avons donc rencontré des militants politiques ( ‘Ammar, Haïdar) qui nous ont décrit la situation ainsi :

10 ans de tergiversations autour des tapis verts par les diplomates et les politiques ont abouti à ce jour à une situation bien pire qu’avant les accords d’Oslo en 93. Aujourd’hui 60 % de la population a moins de 2 € par jour pour vivre. Le train des nouvelles réformes imposées par les U.S.A. à L’A.N.P.  n’y changera rien : Publication de la loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, révision du projet de constitution, les élections de Février et la réorganisation des 7 services de la police palestinienne) : nous sommes là dans le « réformisme » c’est à dire la collaboration du pouvoir palestinien avec la puissance occupante appuyée par ses alliés.
Cette prise de conscience étant faite, le Peuple veut «  en finir avec l’occupation ». Les colons et l’armée d’occupation doivent quitter les terres de Palestine  définies en 67. c’est là l’unique motif de la mobilisation de masse actuelle.  La paix : on verra après
ARAFAT reste notre leader emblématique car il nous a donné une identité nationale aux yeux de la communauté internationale, mais il est aussi celui qui pactise avec l’ennemi en allant de renoncements en renoncements.

Entre « soumission » et « résistance » nous avons choisi de résister.

4       Pour les plus conscients la lutte s’inscrit au niveau planétaire

L’A.I.C. de Michel WARSHAWSKI  consacre régulièrement des articles sur le sujet dans son périodique « News from within » .  Mustafa BARGHOUTHI, secrétaire de la coordination des 4 partis démocratiques (PPP ; FDLP ;FPLP ; et le parti de Yasser Abed Rabbo) et Marwan BARGHOUTHI secrétaire des « Forces nationales et islamiques » (la résistance palestinienne) font la même analyse : L’Iraq va permettre à POUTINE de se débarrasser des Tchétchènes et à SHARON, des Palestiniens. Cela s’inscrit dans l’entreprise U.S. de mondialiser la planète. Tanseen A. SADAAT, secrétaire des Syndicats agricoles du nord de la bande de Gaza le confirme en donnant suite à la proposition faite à son syndicat de rejoindre le « Via Campesina » (Syndicat des sans terres regroupant plus de 80 millions d’adhérents) avec le souhait de pouvoir prendre la parole à Porto Allègre .

5       Quelle stratégie ?

« Il s’agit de leur faire payer le plus cher possible –au niveau économique - le prix de leur occupation » tel est le leitmotiv entendu à plusieurs reprises, la seule limite à ce prix à faire payer étant la capacité d’encaisse du Peuple palestinien
Éducation du Peuple aux manifestations de masse maîtrisées, les enterrements, les sorties malgré les couvre-feu, les manifestations de rue  … ;
La poursuite des activités des réseaux de la résistance armée prenant en compte les décisions de la coordination des partis (arrêt des attaques contre les civils en Israël, pas d’enrôlement dans la résistance à moins de 16 ans, pas de confrontation à proximité des écoles et des hôpitaux…. Autant que faire se peut.
La vigilance à l’égard du camp de regroupement des collabos palestiniens et de leurs familles sous protection de l’armée israélienne situé aux frontières de l’Égypte et de l’Israël, le camp de Dahaniya gardé par 500 soldats israéliens.

 

Faut-il une conclusion ?

Nous la prenons de Michel WARSHAWSKI lors de son récent passage en France :

« … Le Peuple palestinien est seul, face à un ennemi cruel et déterminé.

Mais il refuse de courber l’échine.

Dernière ligne de défense du monde civilisé, les Palestiniens occupent la ligne de front de la lutte contre la barbarie.
A ce titre, ils méritent le soutien sans réserve de toutes les citoyennes et de tous les citoyens du monde, car les Peuples de la terre ne sont pas prêts à vivre dans un monde où le droit que s’arroge le plus fort remplace les principes de la justice et de la force du droit. »

                                                                                     le 18 novembre 2002