"Infos Gaza" – 25 -              Palestine 33  Tel & Fax : 05 56 62 05 78                            jacques.salles@wanadoo.fr

 

Amis, Je n'ai toujours pas reçu du" Centre Palestinien des Droits de l'Homme" de Gaza, son rapport hebdomadaire pour la semaine du 19 au 25 avril …………..

Je vous propose ces deux témoignages qui font suite à celui déjà envoyé dans "Infos Gaza" – 23 – par notre amie Marianne Blume.

 

Vendredi 13 Avril, avec les collègues, nous avons décidé d'aller à Khan Younis et à Al Mawasi.  Journée longue et lourde qui nous a laissés comme vidés ou trop pleins, en tout cas silencieux. A Khan Younis, en bordure de la colonie de Gush Qatif, au passage de Touffah, il ne reste rien des maisons qui bordaient la clôture de la colonie juive. Des gosses jouent dans les pierres et retirent des décombres de maigres objets écrasés ou abîmés par les bulldozers. Des femmes âgées sont assises en face des tentes, la tête dans une main, le regard trop lointain : leur silence, leur douleur muette est impressionnante et l'on se prend presque à être gênés d'être là. Des mères vaquent aux tâches ménagères, péniblement, trimballant des seaux d'eau, remplis chez les voisins. Elles regardent à peine leurs enfants qui sourient avec des yeux d'adultes à vous fendre le cœur. Les hommes se donnent une contenance en discutant ou en se promenant. Sur les monceaux de gravas : des tentes. Et ces tentes, la Croix Rouge a aidé à les

monter pendant que les soldats israéliens tiraient. Les familles semblent installées comme après un très long voyage. Sauf que c'est un voyage sur place. Sauf aussi que ce voyage ressemble trop douloureusement à un autre voyage. On se croirait dans une vieille photo "sepia" de l'UNRWA et on n'a qu'une envie, celle de s'enfuir et de retrouver la couleur d'un monde normal, d'un monde où vivre tout simplement sur un lopin de terre qui vous reste est possible.     Marianne

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Voici encore un très beau texte de Nathalie Laillet, qui vit à Naplouse...Si vous souhaitez entrer en contact avec elle, vous pouvez m'écrire, je lui transmettrai vos coordonnées.                                                          Marianne

 Jeudi 12 avril 2001. Les maisons détruites a Khan Younes. C'est là qu'habite, pardon qu'habitait,  Tareq. Depuis hier, il n'a plus de maison. Plus de lit. Plus de cahier. Plus de jouets. Plus de vêtements.  A minuit, les obus ont commencé à tomber. A minuit, il dormait bien évidemment. On va se coucher tôt dans les camps de réfugiés. Il n'y a rien à faire. Pas de cinéma et surtout pas d'argent pour y aller. Alors, il dormait.  Les bruits des bombes. Sa maman qui le réveille en sursaut. Pas le temps de s'habiller, tout le monde dehors! Il est encore endormi, la tête dans ses  rêves. Les bombes, les chars, les hélicoptères. Il faut courir, courir devant les chars. Pour ne pas mourir. Les petits yeux de Tareq se lèvent vers ce monde d'adultes affolés, terrifiés. Il a compris. Il a déjà compris qu'on voulait encore le tuer. Alors, il ne demande rien. Il court avec les autres. Devant les chars. Il court dans la nuit. Les lumières sont coupées,  il fait noir. Le bruit des bombes. Encore. Les balles. Les balles traçantes qui déchirent la nuit. Le feu qui embrase les maisons touchées par les obus. Il court droit devant lui, avec ses frères et sœurs, ses copains, ses parents. Sans se retourner. Sans réfléchir. Instinct de survie. Il court. Il pensera, réfléchira après. Il souffrira après. Quand il ne retrouvera plus son ours en peluche ou son tee shirt préféré. Pour l'instant, il court. Il baisse la tête sous le bruit des balles. Il court avec Hanin, si douce. Elle doit pleurer en silence sans faire de bruit, pour ne pas attirer l'attention  sur elle. Il court avec le vieux monsieur voûté à la moustache blanche qui nous a offert le thé. Il court avec les shebabs, Abed, Yad, Islam et les autres. Dégâts, des rumeurs. Un de leurs voisins serait mort. On verra après. Lui, il court. Il court jusqu'au bout du monde, jusqu'au bout du camp. Dans la nuit, les bombes, les larmes, la peur. A Cinq heures du matin, les bombes ne tombent plus. Le jour se lève. Le soleil brille dans le ciel de Gaza. Pas dans le cœur de Tareq et de ses copains. Il revient doucement, en marchant cette fois. Il revient vers l'endroit où hier encore il habitait. Vers sa maison. Qu'est ce qu'une maison pour un gosse de 4 ans? L'univers tout entier....Il revient vers son univers. Vers sa maison de 3 mètres sur 3, au toit de toile, à l'unique fenêtre, aux murs de parpaings. Il ne la voit plus. Il n'y a plus de maison.  Plus de rue. Les endroits où il jouait avec ses copains, les meilleures cachettes qu'il avait trouvées pour jouer à cache-cache, ne sont plus là. Par terre, des débris de maison. De sa maison. Là, sous les parpaings, ses vêtements, son ours, ses trésors à lui. Dans la poussière. Enfouis. Il ne les voit pas. Il ne voit que son père qui cherche tant bien que mal à  retrouver quelques petites choses. Il ne voit que sa mère, assise par terre, la tête dans les mains et qui pleure. Il ne voit que ses grands frères dont le regard plein de haine se tourne vers le groupe de colonies du Goush Katif. Le poing levé. Ses yeux à lui se lèvent vers ce monde de fous. Il a 4 ans et on a déjà  voulu le tuer plusieurs fois. Dans 10 ans, si dieu lui prête vie, il lancera des pierres. Comment l'en blâmer? Dites-moi donc qui sont les auteurs de la violence à Khan Younes? Qui doit "cesser les violences"?  Il regarde sa maison détruite, il entend la haine monter des poitrines de ses aînés, il voit les pleurs, il connaît déjà l'odeur de son propre sang.    Hanin est toujours près de lui. Alors parce que ça fait trop mal, parce qu'il ne veut pas qu'on le voit pleurer, il se remet a courir. Il fuit encore. Il court jusqu'au bout du  camp, jusqu'au bout du monde. Pour hurler à la face du monde son droit à la justice et à la paix.  Cours, Tareq, et va dire au monde que tu ne veux qu'une chose :  VIVRE!!!!!!!!!!!!
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Mardi 24 avril 2001


Mohannad est mort. Sa petite vie de 11 ans s'est arrêtée par un bel après midi de printemps. Mohannad est mort. Assassiné. Une balle dans la tête. Il ne lançait pas de pierres. Personne ne vous a parlé de lui. Mais c' était mon ami. Il habitait le fameux camp de Khan Younes. Là où les maisons ont été rasées. Depuis une semaine, il vivait comme les autres sous des tentes. C'est là que je l'ai revu samedi dernier. Je l'ai vu samedi. Il est mort lundi. 48H. 48H de vie. 48H pendant lesquelles il aura profité des cadeaux que vous m'avez envoyés. Parce que Mohannad, c'etait un copain de Tareq. Ils étaient tous les 2 sous les tirs des chars et des hélicoptères la semaine dernière. Ils étaient tous les 2 sous les balles israéliennes hier. Ils étaient tous les 2 avec moi samedi. Sur mon bureau, des figurines en coquillage. Faites par les gosses. Dans mon cahier, des fleurs qui sèchent. Données par les gosses. Une peur indicible m'envahit. Il me faudra attendre hélas pour retourner à Gaza. Et si d'autres encore mouraient ? J'ai quitte Gaza dimanche soir. Lundi, Mohannad est mort. Il n'aura pas eu le temps de finir son coloriage. Il avait choisi celui avec le foot. Mes larmes ne coulent pas. Au delà de ça.

Islam, énervé, excité, m'appelle lundi soir pour m'annoncer le décès. Je viens de le rappeler ce soir (mardi). Il pleure. Lui qui, malgré les maisons détruites, continuait à rire. A rire pour les enfants avec lesquels il travaille. A rire pour les shebabs. A rire pour donner de l'énergie a tous. Islam pleure. Tous les gamins de Khan Younes, il les connaît. On peut détruire sa maison, lui faire peur, il continue à croire en la vie. Mais qu'on tue des gosses....il pleure. Lui, un terroriste ? Il a 20 ans et sa vie c'est les enfants. Dans un centre, près d'une école, il s'occupe d'eux, après l'école. Il les fait dessiner, peindre, créer. Avec les moyens du bord. Avec de la tendresse. Avec du rire. Tous les gamins le connaissent. Et il les connaît tous.

Désormais, Mohannad ne fabriquera plus de figurine en coquillage. Il ne jouera plus avec Tareq. Il n'écoutera plus les conseils d'Islam. Il est mort